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Le Journal du Panafricanisme Économique, Géopolitique & Géostratégique

La stratégie des Etats-Unis contre la Chine : Casser et Brouiller les relations Sino-Russes

Chronique n°21 – Valise Diplomatique de Laurent Michelon – Hong Kong, 23 mars 2025

Pour cette chronique numéro 21, nous allons analyser la relation triangulaire entre les États-Unis, la Chine et la Russie, un sujet qui était au cœur de la campagne de Donald Trump avant sa réélection.

Donald Trump et ses sbires (Rubio, Hegseth, Walz, Ratcliffe etc.) ont, dès leur arrivée au pouvoir, juré de séparer la Russie de la Chine, dont la proximité depuis 2022 est la réalisation du cauchemar de Zbigniew Brzezinski : la formation d’une puissante coalition anti-hégémonique. Initier une détente avec Moscou, casser les Nouvelles routes de la Soie, attiser les tensions internes en Mongolie, en Asie centrale et souffler sur les braises du nationalisme chinois, les moyens à la disposition de l’hégémon anglo-américain sont multiples pour tenter de faire se disputer les deux états-civilisations eurasiatiques. Ce plan cynique a-t-il des chances de réussir, et quelle carte la France a-t-elle à jouer dans ce nouvel épisode du Grand Jeu eurasiatique qui divise l’Eurasie depuis le 19ème siècle ?

La stratégie de Donald Trump : Désunion Sino-Russe

Pendant sa campagne, Donald Trump avait affirmé que l’une de ses priorités, s’il était réélu, serait de séparer la Russie de la Chine. Selon lui, l’administration Biden avait poussé ces deux puissances à s’allier, une situation qui est le résultat de près de quarante ans d’erreurs stratégiques anglo-américaines.

Depuis les événements de Tiananmen, en passant par la révolution de Maïdan, les émeutes à Hong Kong, les tensions au Xinjiang et enfin le conflit ukrainien dans le Donbass, Washington a tour à tour ciblé la Chine et la Russie. Cette politique de double endiguement a abouti à un rapprochement entre ces deux rivaux idéologiques des États-Unis.

Une alliance de circonstances entre la Chine et la Russie

Bien que la Chine et la Russie n’aient pas toujours été alliées – leur relation a été marquée par des conflits frontaliers armés dans les années 1960 – elles ont fini par se réunir face à une pression occidentale commune. Cette union a été renforcée par d’autres pays comme l’Iran et la Corée du Nord, consolidant ainsi l’espace eurasiatique. Ce scénario représente le cauchemar stratégique prédit par Zbigniew Brzeziński : une coalition anti-hégémonique Chine-Russie-Iran.

Le réajustement stratégique de l’administration Trump

Face à cet échec, l’administration Trump a décidé de concentrer ses efforts sur un ennemi principal : la Chine. Elle a donc redirigé ses ressources diplomatiques, financières, de renseignement et militaires pour affaiblir Pékin.

L’un des premiers actes de cette stratégie a été le désengagement progressif du conflit ukrainien, transfert du fardeau à l’Union européenne. Washington a ainsi poussé les États européens à augmenter leur budget de défense à 5 % du PIB et à adopter une économie de guerre pour fournir des armes à Kiev.

Ce désengagement permet aux États-Unis de concentrer leurs efforts vers l’Indo-Pacifique, un terme apparu en 2007 pour désigner implicitement la Chine comme cible principale.

Diviser pour mieux régner : La nouvelle doctrine américaine

L’administration Trump tente d’affaiblir le partenariat sino-russe en jouant sur les susceptibilités des deux pays. Les médias anglo-saxons insistent sur le fait que, depuis la guerre en Ukraine, la Russie serait devenue un « partenaire junior » de la Chine, une situation humiliante pour Moscou. En parallèle, Washington tente d’éloigner Pékin de Moscou, de Téhéran et de Pyongyang en dévalorisant ces alliances. Certains analystes américains qualifient cet axe d' »axe des losers« , expliquant que la Chine mériterait mieux que de s’associer à des pays comme la Russie, l’Iran et la Corée du Nord.

Lors de la Conférence sur la sécurité de Munich en février 2025, l’envoyé spécial de Trump, Kellog, a confirmé l’intention américaine de briser l’alliance sino-russe et d’éloigner la Chine de ses partenaires stratégiques. Cependant, cette vision ne tient pas compte de la nature flexible du partenariat entre ces pays, qui refusent une alliance formelle pour préserver leur souveraineté.

Une offensive contre les « Nouvelles Routes de la Soie »

Un autre axe de la stratégie américaine consiste à démanteler l’initiative Ceinture et Route de la Chine. Le nouveau Secrétaire d’État, Marco Rubio, a effectué son premier voyage officiel au Panama, où il a exigé du gouvernement panaméen qu’il se retire immédiatement des Nouvelles Routes de la Soie, ce qui a été fait dans la journée. Il a également poussé la Cour constitutionnelle du Panama à révoquer un contrat commercial de plus de 20 ans avec une entreprise de Hong Kong, provoquant des tensions diplomatiques entre la Chine, Hong Kong et le Panama.

Conclusion : Une escalade des tensions

Le nouveau directeur de la CIA, John Ratcliffe, a déclaré dans son discours inaugural que « la Chine est la plus grande menace pour la sécurité nationale des États-Unis« . Cette posture agressive signale une intensification de la confrontation entre Washington et Pékin, avec pour objectif de contenir l’influence chinoise en Eurasie.

Toutefois, cette stratégie américaine pourrait se heurter à la réalité : les États-Unis semblent sous-estimer la complexité et la résilience des relations sino-russes et du bloc eurasiatique. L’avenir nous dira si Washington réussira à diviser ses adversaires ou si, au contraire, elle contribuera à renforcer leur unité face à une pression extérieure accrue.

La Stratégie de l’Administration Trump : Séparer la Chine de la Russie

1. La Chine, une menace prioritaire selon l’administration Trump

John Radcliff, nouveau directeur de la CIA sous l’administration Trump, a déclaré dans son discours inaugural que la Chine représentait la plus grande menace pour la sécurité nationale des États-Unis :

« The nation that wins the race of emerging technologies today will dominate the world of tomorrow. This brings me to the need for the CIA to continue and increase in intensity its focus on the threats posed by China and its ruling Chinese Communist Party. As DNI, I dramatically increased the intelligence community’s resources devoted to China. »

( » La nation qui remporte aujourd’hui la course aux technologies émergentes dominera le monde de demain. Cela m’amène à souligner la nécessité pour la CIA de poursuivre et d’intensifier sa lutte contre les menaces posées par la Chine et son Parti communiste chinois au pouvoir. En tant que directeur du renseignement intérieur, j’ai considérablement accru les ressources de la communauté du renseignement consacrées à la Chine. »)

On observe ainsi que plusieurs figures de l’administration Trump, dont Marco Rubio et John Radcliff, adoptent une position extrêmement critique à l’égard de la Chine. Ces responsables, qualifiés de sinophobes par certains, placent la Chine au centre de leurs préoccupations stratégiques et sécuritaires.

2. Le rôle des agences américaines d’influence

Des agences telles que la National Endowment for Democracy (NED) et l’USAID, souvent perçues comme des relais de la CIA, ont été mises en pause sous l’administration Trump. Contrairement aux affirmations de certains médias, elles n’ont pas été supprimées mais ont subi une restructuration visant à les rendre plus efficaces. L’objectif était de réduire l’influence des courants progressistes (« woke ») au sein de ces institutions afin de mieux les orienter vers la lutte contre la Chine.

3. Un « Nixon inversé » : Rapprocher la Russie pour isoler la Chine

L’un des axes majeurs de cette politique est ce que certains appellent un « Nixon inversé ». En 1971, sous l’impulsion d’Henry Kissinger, le président Richard Nixon avait opéré un rapprochement stratégique avec la Chine pour l’éloigner de l’URSS. Aujourd’hui, l’administration Trump cherche à inverser cette dynamique en se rapprochant de la Russie pour la détacher de la Chine.

Déjà en 2018, Kissinger lui-même avait recommandé à Donald Trump de privilégier un rapprochement avec la Russie pour contrer l’influence chinoise. Toutefois, à l’époque, cette stratégie s’était heurtée aux accusations démocrates qui qualifiaient Trump d’ »agent de Poutine », ce qui avait empêché toute avancée significative.

En 2025, sous son second mandat, Trump adopte ouvertement cette politique. Il s’agit d’un pivot diplomatique majeur visant à renforcer les liens avec Moscou pour affaiblir l’axe sino-russe.

4. Les actions concrètes de l’administration Trump

Plusieurs mesures ont été mises en place pour renforcer les relations entre Washington et Moscou :

  • Allègement des sanctions contre la Russie : Un changement notable par rapport à la politique de l’administration Biden.
  • Modification de la rhétorique : Le ton adopté vis-à-vis de Vladimir Poutine est nettement moins belliqueux.
  • Pression sur l’Ukraine : Trump a plaidé pour un cessez-le-feu partiel et a publiquement critiqué la politique ukrainienne.
  • Proposition du retour de la Russie dans le G7 : Trump a suggéré de réintégrer la Russie dans le G8, un forum exclusivement occidental où la Chine est absente.

« It used to be the G8. I said: What are you doing? You guys all you talk about is Russia, and they should be sitting at the table. I think Putin would love to be back. If it was still the G8, you wouldn’t have had the problem with Ukraine. If I was president, Russia would have never attacked Ukraine. »

(« Avant, c’était le G8. Je disais : « Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous ne parlez que de la Russie, et ils devraient être à la table des négociations. Je pense que Poutine adorerait revenir. Si c’était encore le G8, vous n’auriez pas eu de problème avec l’Ukraine. Si j’étais président, la Russie n’aurait jamais attaqué l’Ukraine. »)

Ces déclarations et initiatives constituent des appels du pied explicites à la Russie pour l’inciter à se repositionner dans le camp occidental.

5. Attiser le nationalisme chinois pour créer des tensions sino-russes

Une autre approche consiste à raviver des tensions historiques entre la Chine et la Russie. Certains milieux nationalistes chinois, notamment à Taïwan, tentent d’exploiter des contentieux territoriaux anciens.

Historiquement, la Chine a dû céder d’importants territoires à la Russie, notamment avec le Traité d’Aigun en 1858, qui a conduit à la perte de 1,5 million de km² de terres chinoises en Sibérie orientale. Bien que ces différends aient été officiellement réglés par un traité sino-russe en 2004-2005, certains activistes cherchent à raviver cette question en insistant sur le fait que des villes comme Vladivostok avaient autrefois des noms chinois.

Cette rhétorique est parfois encouragée par des acteurs extérieurs, dont certains Ukrainiens, qui utilisent les réseaux sociaux pour alimenter l’idée d’un conflit territorial latent entre la Chine et la Russie.

En ce sens, des figures comme le vice-président taïwanais Lai Ching-te ont explicitement suggéré que Pékin devrait revendiquer ses anciens territoires en Russie plutôt que de se focaliser sur Taïwan :

« 中国要病台湾其实也不是为了领土的完整, 如果真是为了领土的完整, 他为什么不拿回俄罗斯占有了这个爱文条约所签的那些土地呢? »
(« Si la Chine veut vraiment défendre son intégrité territoriale, pourquoi ne récupère-t-elle pas les terres cédées à la Russie par le traité d’Aigun ? »)

6. Conclusion : Une stratégie à double tranchant

L’administration Trump tente ainsi de fracturer l’alliance sino-russe en combinant rapprochement avec Moscou et attisement du nationalisme chinois. Cependant, cette stratégie comporte des risques :

  • La Russie pourrait rester méfiante vis-à-vis des États-Unis et maintenir son partenariat stratégique avec la Chine.
  • Pékin et Moscou sont profondément liés économiquement et stratégiquement, notamment face aux sanctions occidentales.
  • Une politique trop agressive pourrait renforcer la méfiance des deux nations envers Washington.

Seul l’avenir dira si cette tentative de « Nixon inversé » sera couronnée de succès ou si elle renforcera au contraire la coopération entre la Chine et la Russie face à une Amérique de plus en plus hostile.

La déstabilisation de la Mongolie ne concerne pas uniquement ce pays en tant que tel, mais a également un impact sur la Mongolie intérieure, qui est une province chinoise où la minorité ethnique mongole est largement présente. Il y a en effet plus de Mongols en Mongolie intérieure qu’en Mongolie elle-même, et cette province est beaucoup plus prospère que l’État mongol. Ainsi, toute tentative de déstabilisation de la Mongolie vise également à affecter la Chine de l’intérieur.

Le secteur privé des États-Unis joue également un rôle dans cette stratégie. Récemment, Starlink, la société d’Elon Musk, a vendu son système de communication par satellite à la Mongolie. Il est important de rappeler que Starlink, bien qu’initialement présenté comme une technologie civile, est à double usage, principalement militaire. Son utilisation en Ukraine a démontré son importance stratégique, et Elon Musk lui-même a déclaré qu’en l’absence de Starlink, l’armée ukrainienne aurait cessé de combattre depuis longtemps.

Cette installation de Starlink en Mongolie offre donc un moyen de contourner la censure chinoise en Mongolie intérieure, permettant ainsi la diffusion de propagande occidentale et potentiellement déstabilisatrice au sein de la Chine. Cette situation est suivie de très près par les autorités chinoises, car elle représente une menace directe à leur contrôle de l’information et à leur stabilité interne.

Par ailleurs, en 2022, une délégation de l’OTAN s’est rendue à Oulan-Bator, la capitale mongole. Ce rapprochement entre l’Alliance atlantique et la Mongolie, située loin de l’océan Atlantique mais proche du Pacifique, est hautement symbolique et inquiète les autorités chinoises. Ces initiatives révèlent une volonté des puissances anglo-américaines de fracturer progressivement la relation sino-russe en exploitant les faiblesses régionales.

Le contexte géopolitique actuel et la relation sino-russe

Toutefois, la situation actuelle diffère grandement de l’époque où les États-Unis avaient réussi à séduire la Chine et à la rapprocher de l’Occident, à une période où la relation sino-soviétique était extrêmement tendue. En 1969, la Chine et l’URSS étaient engagées dans un conflit armé sur leur frontière, avec des affrontements sanglants sur l’île de Zhenbao. Cette dégradation des relations sino-soviétiques avait permis à Washington de jouer la carte d’un rapprochement avec Pékin.

Aujourd’hui, la situation est radicalement différente. Après des décennies de coopération, la Chine et la Russie ont consolidé une relation stratégique profonde et durable. Depuis 1991, elles organisent régulièrement des exercices militaires conjoints, qui sont devenus annuels. De plus, leur collaboration s’étend à des initiatives transnationales comme l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et les BRICS, structures qu’elles ont créées pour contrer l’influence occidentale.

Elles ont également mis en synergie leurs projets d’intégration économique régionale : l’initiative chinoise des « Nouvelles Routes de la Soie » (BRI) et l’Union économique eurasiatique (UEE) portée par la Russie. Initialement perçus comme des projets concurrents, ces deux initiatives sont aujourd’hui coordonnées pour maximiser leurs bénéfices respectifs. La Russie et la Chine se soutiennent systématiquement aux Nations unies et s’opposent ensemble aux initiatives occidentales en Asie-Pacifique, notamment à travers le QUAD et l’AUKUS.

Une relation sino-russe indéfectible

Malgré les tentatives occidentales de diviser la Chine et la Russie, la relation entre ces deux puissances semble plus solide que jamais. Certains analystes occidentaux qualifient cette relation de « shérif et banquier », la Russie apportant sa puissance militaire et la Chine sa force économique. Cependant, cette vision réductrice ne reflète pas la réalité d’une alliance stratégique équilibrée et mutuellement bénéfique.

Même les publications anglo-américaines reconnaissent que cette relation a peu de chances d’être déstabilisée par des initiatives occidentales. Sergeï Lavrov et Wang Yi, les chefs de la diplomatie russe et chinoise, affirment régulièrement que leur partenariat est non seulement solide, mais aussi pérenne.

Le rôle de la France et de l’Europe

Dans ce contexte, quelle place pour la France et l’Union européenne ? Si l’administration Trump puis Biden ont mené une politique de confrontation directe avec la Chine et la Russie, les pays européens ont suivi cette ligne, souvent au détriment de leurs propres intérêts. La russophobie ambiante, notamment après le sabotage de Nord Stream 2 et les sanctions multiples, a rendu tout retour à une relation pragmatique avec Moscou très difficile.

Si un dégel des relations entre Washington et Moscou devait se produire, l’Europe risquerait d’être une fois de plus reléguée au second plan. Elle pourrait se retrouver isolée, privée de son accès au marché énergétique russe, tout en subissant des barrières commerciales croissantes des États-Unis. Dans cette perspective, renforcer les liens avec la Chine pourrait devenir un marqueur de souveraineté pour certains États européens, dont la France.

Contrairement à l’Union européenne, perçue comme hostile, la Chine continue d’adopter une politique de la main tendue envers certains pays européens. La France, de par son histoire et son positionnement diplomatique, pourrait jouer un rôle clé dans la redéfinition des équilibres globaux.

En conclusion, la stratégie américaine visant à fracturer l’axe sino-russe semble vouée à l’échec. La France et l’Europe devront réévaluer leur politique extérieure afin de ne pas se retrouver marginalisé sur la scène internationale.

Patrice NZIANSE

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