J’ai été très étonné en regardant cette vidéo sur l’incohérence des militants panafricains et de leur pratique du panafricanisme. Entendre même le Professeur Jean Paul Pougala cité aux côtés de Franklyn Nyamsi, Nathalie Yamb et Alain Foka m’a poussé à prendre la plume. Le lien est désormais fait entre panafricains et activistes camerounais en tout genre, comme si c’était devenu un nouveau business rémunérateur dont ils se seraient emparés pour leur enrichissement personnel… Entre opportunité et sincerité, comment devons-nous nous positionner ?
Un congrès historique dans un contexte controversé
Du 8 au 12 décembre prochain, Lomé accueille le 9ème Congrès Panafricain sous le haut patronage du président du Conseil Faure Gnassingbé. L’objectif annoncé est de réunir l’Afrique, sa diaspora et les afrodescendants autour des enjeux du continent. Ministres, chercheurs ou encore influenceurs, plus d’une centaine d’intervenants sont annoncés. L’événement s’inscrit dans la volonté affichée par Lomé de positionner le Togo au cœur de la diplomatie ouest-africaine, tandis que Faure Gnassingbé, président du Conseil et ex-chef de l’État, se pose en médiateur dans plusieurs crises qui secouent le continent. Le 9ᵉ congrès panafricain est organisé sous l’égide de l’Union africaine.
Sur le papier, tout cela semble merveilleux. On se demande alors pourquoi le peuple togolais se soulève contre cette rencontre mythique du panafricanisme, héritière d’une histoire de 125 ans qui remonte au tout premier congrès panafricain organisé à Londres.
Rappel historique des congrès panafricains
La première conférence panafricaine fut organisée par l’avocat trinidadien Henry Sylvester-Williams à Londres en juillet 1900, en même temps que l’Exposition universelle de Paris. La 2nde s’est tenue à Paris en 1919, la 3ème sous forme de tournée européenne en 1921, la 4ème en 1923 encore à Londres, la 5ème en 1945 à Manchester, la 6ème en 1974 à Dar es Salaam en Tanzanie, la 7ème en 1994 à Kampala en Ouganda et la 8ème à Johannesburg en Afrique du Sud.
Le kidnapping du panafricanisme par des dirigeants peu scrupuleux
Pour le 9ème congrès, on reste en Afrique, continent pour lequel cette doctrine a été créée. Mais on assiste à un panafricanisme soudainement kidnappé par des dirigeants peu scrupuleux, ayant fait preuve d’une violence ininterrompue dans leur carrière et d’une cruauté sans vergogne envers leur peuple. Le tout appuyé par une Union africaine financée à plus de 70% par l’Union européenne, une institution africaine dont on attendrait qu’elle se préoccupe des Africains, mais qui valide que des pays africains se fassent la guerre entre eux. L’Union africaine n’est jamais au secours des populations mais toujours à celui des présidents contestés par leur peuple… L’AES est jusqu’à présent à peine reconnue par cette Union africaine.
Le cas Gnassingbé : 58 ans de dynastie
Faure Gnassingbé succède à son père, Gnassingbé Eyadema, président de la République de 1967 jusqu’à sa mort en 2005. Pire qu’une dynastie : le pays est confisqué par une famille, les Gnassingbé, depuis 58 ans, et par un clan ethnique, tous issus de la région de Kara dans le nord du pays. Une ethnie de preux guerriers mais manquant particulièrement de bienveillance envers le reste de la population.
J’ai toujours dit à nos élites dirigeantes africaines : si vous voulez rester éternellement au pouvoir, soyez justes, bons et généreux avec votre peuple. Soyez bienveillants et protecteurs. Partagez avec lui les richesses que vous offrent la terre de vos ancêtres et les accords avec l’Occident pour accéder aux ressources. Un peu sur le modèle des Saoud en Arabie Saoudite. Faites de vos peuples des peuples riches et beaux, vivant dans des espaces magnifiques et inoubliables que le monde nous envierait. Mais vous choisissez de les laisser dans des poubelles sans soins ni commodités, dans des endroits où l’on arrive à peine à se nourrir décemment, sans perspective d’avenir ni de prospérité…
Devenez même des monarchies, assumez-le ouvertement, et vous pourrez y rester légitimement toute votre vie, naître et mourir sur le trône. Mais dès lors que le peuple est maintenu dans la pauvreté, la précarité, l’insécurité, l’insalubrité et l’ignominie, il se mettra à parler de démocratie. La démocratie devient alors le seul outil légitimant le changement des incompétents et des indigents. Quand l’Africain parle de démocratie, c’est parce qu’il veut déloger du pouvoir une personne qui ne le mérite pas, une personne qui s’avère être un paresseux, un profiteur, un incompétent. Souvent devenu despote parce qu’il se sait illégitime et ne peut se maintenir que par la violence exercée sur sa population.
La stratégie de légitimation de Faure Gnassingbé


C’est dans cette ambiance étrange que s’organise le 9ème congrès panafricain à Lomé, sous l’égide du gouvernement de Faure Gnassingbé. Pour légitimer ce congrès, Faure Gnassingbé a soigneusement préparé sa posture : diplomatie de réconciliation avec l’AES, voyage en Russie le 18 novembre 2025 où il fait presque allégeance à Poutine, mise en scène d’une rupture avec la France qui forme pourtant son armée depuis 1963 – une armée qui n’hésite pas à tirer à balles réelles sur les manifestants togolais en juin 2025, tuant 7 jeunes. Bref, malgré la posture, on sent l’imposture.
Faure Gnassingbé se rêve nouvel artisan et militant du panafricanisme en Afrique, aux côtés des Nkrumah ou des Lumumba. Sauf qu’il n’a jamais su construire une légitimité réelle. Il ne s’est jamais rapproché des véritables patriotes et panafricains locaux, au contraire, il les a farouchement combattus. La fracture avec le peuple togolais l’éloigne définitivement de ce rêve de gloire et de postérité.
De plus, on lui aurait fait croire que c’est la Russie qui adoube les panafricains et militants anti-impérialistes, validant ainsi leur droit à exister. Erreur ! Le panafricanisme n’est ni russe ni chinois, encore moins occidental ou arabe… Il est Noir. Sa force, c’est l’étendue du peuple Noir dans le monde. Le panafricanisme est ancré dans le cœur de chaque Africain, où qu’il soit, dès lors qu’il a de l’amour pour les siens et sa terre.
La validation médiatique : le rôle d’Alain Foka
Vient la dernière touche de cette mascarade, qui révèle en réalité une longue stratégie : la validation médiatique. Pour cela, Faure passe d’abord par Alain Foka qui crée un média, ou plutôt un think tank, nommé MANSSAH. Ce nom a la même consonance et presque la même orthographe que le nom de famille de la mère de Faure Gnassingbé : Sabine Mensah. Un joli tour de passe-passe quand on sait qu’on a voulu nous faire croire que c’était en hommage à Mansa Moussa, l’Africain le plus riche de l’histoire de l’humanité, qui dilapida tout l’or du Mali lors d’un pèlerinage vers La Mecque.
Ce think tank, lancé en grande pompe par l’ancien journaliste de RFI le plus connu, Alain Foka, permet l’installation d’une base arrière à Lomé et la création du média AFO Media. On ne nous le dira jamais officiellement, mais le financement du gouvernement doit y être. Le Bénin veut être la terre du tourisme cultuel avec le vaudou, le Togo veut être la terre du tourisme culturel avec le panafricanisme…
Les militants panafricains professionnels
Fort de cet homme de réseau qu’est Alain Foka, la dernière touche consiste à faire venir les têtes de pont des militants panafricains. En vérité, ceux qui font le plus de bruit sur les réseaux sociaux, mais qui sont aussi devenus des militants panafricains professionnels, comme il existe des politiques professionnels.
Franklyn Nyamsi : l’arrogance et l’opportunisme
Franklyn Nyamsi, ancien professeur de philosophie ayant démissionné de l’éducation nationale. Sa dépendance aux cachets et consultations payantes le rend vulnérable. On peut désormais se payer sa présence pour quelques cachets bien garnis. Son arrogance quand on lui dit non finit de le rendre exécrable et révèle au grand jour sa posture d’opportuniste. Une posture qui lui colle à la peau depuis qu’il a participé en tant que rebelle à la déstabilisation de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo.
Son arme : la parole et son éloquence. Il sait impressionner ceux pour qui la maîtrise du français est une preuve d’intelligence et d’excellence.
Nathalie Yamb : une approche plus populaire
Nathalie Yamb, également pressentie à ce congrès, est plus maligne, plus fine, plus intuitive et plus discrète. Elle ne se fait pas trop entendre. On verra ce lundi 8 décembre si elle est présente aux côtés de Franklyn Nyamsi. Contrairement à Nyamsi, Nathalie Yamb vise un panafricanisme populaire et sait que c’est le peuple qui la protège.
Ce qui est tout autre pour Nyamsi qui envoie paître toute personne remettant en cause sa posture. Multi-diplômé et auteur d’une vingtaine de livres, il se sent au-dessus de la terre entière. Mais cette attitude ne date pas d’hier. Déjà à l’époque du coup d’État contre Gbagbo, face à des militants ivoiriens, il avait cette manière condescendante de vouloir les ignorer, cherchant parfois à les humilier. Mais devant des gens comme Johnny Patcheko ou Black Modo, il était souvent mis en difficulté, ses arguments s’avérant souvent très faibles.
Jean Paul Pougala : victime d’amalgame
Revenons à mon professeur Jean Paul Pougala. Cité dans cet échange vidéo, je découvre que son influence en Afrique est bien plus grande que je ne le pensais. Il est malgré lui mis dans la case des panafricains. Lui qui s’en défend se retrouve pourtant classé parmi ces acteurs importants.
L’intervenant dit une chose qui m’interpelle : l’Afrique, avec un leadership camerounais évident sur le panafricanisme, s’adresserait à une élite qui se coupe du peuple pour qui cette idéologie a été créée.
Le panafricanisme populiste VS le panafricanisme élitiste
C’est là qu’apparaît cette dualité que je dénonce souvent mais qui reste peu comprise.
Il y a d’un côté le panafricanisme populiste de Marcus Garvey : chef d’entreprise, entrepreneur, éditeur, homme politique et même pasteur. Proche du peuple, il est à l’initiative de nombreux slogans dont les plus connus sont « Back To Africa », « For Us By Us », « Organise, Don’t Agonise ». Un Marcus Garvey à qui on empêchera d’aller sur le continent – non pas parce qu’il ne voulait pas y aller, mais parce qu’on l’en a interdit. (Il y a un siècle, les récalcitrants étaient interdits d’Afrique pour ne pas qu’ils y viennent mettre la pagaille. Tiens, ça me rappelle quelqu’un… Cette interdiction de territoire de certains pays africains à des militants panafricains ne date pas de Kemi Seba mais remonte déjà à l’époque coloniale.)
De l’autre côté s’oppose un panafricanisme élitiste, celui de W.E.B. Du Bois, métis (parents haïtiens et français/allemands). C’est lui qui fascine nos élites africaines, souvent camerounaises, qui le citent plus volontiers que Garvey. Or c’est ce panafricanisme des élites qui conduira W.E.B. Du Bois à devenir le conseiller spécial du président ghanéen Kwame Nkrumah de 1961 à 1963. C’est ce panafricanisme qui crée la fracture avec les peuples africains, qui sont d’abord patriotes avant d’être panafricains, qui luttent contre la pauvreté, l’insalubrité, l’insécurité sanitaire, alimentaire et militaire, le chômage endémique et l’absence d’industries. Nos pays restent donc des enfers sur terre.
Le panafricanisme des élites, surtout celui d’aujourd’hui, s’attarde et s’appesantit sur les problèmes géopolitiques, sur la guerre économique avec l’Occident depuis son arrivée en Afrique. Il est souvent trop axé contre la France à cause de son passé colonial prégnant. Mais il ne s’intéresse pas à la qualité de vie des peuples africains ni à leur rapport avec un pouvoir qui se joue d’eux.
L’autocritique nécessaire
J’ai moi-même parfois adopté une position qui se voulait au-dessus de la mêlée. On tombe facilement dans le piège de celui qui sait face à ceux qui ne savent pas. On nous dit de lire et d’apprendre seul, sans nous rappeler que la connaissance que nous acquérons, c’est pour mieux la partager avec le peuple, l’éduquer et le guider. Non pas pour s’allier contre le peuple et le prendre de haut.
La connaissance grise l’homme noir jusqu’à le rendre arrogant et méchant, cruel et sans cœur. Le vrai combattant et militant panafricain se doit d’être proche des populations et d’être leur haut-parleur.
Pour les raisons expliquées plus haut, le 9ème congrès panafricain ne pouvait pas se tenir à Lomé. Au vu de la situation politique locale, il ne peut donner qu’un mauvais signal, surtout si ce sont les autorités qui en prennent le contrôle pour soigner leur image et non comme outil d’émancipation.
Ou alors il faudrait y participer en faisant clairement entendre sa voix dès le début, en venant remettre les pendules à l’heure sans accepter d’être soudoyé par le pouvoir – même si les sommes offertes sont parfois colossales.
Car quand on entre dans la stratégie manipulatrice d’un dirigeant qui se sert d’un mouvement et d’une idéologie pour ses propres fins, on doit être capable de le détecter et de le dénoncer. Viennent ensuite les conflits d’intérêts, l’ego, les cachets souvent importants, l’accès à la notoriété et aux privilèges. Souvent appelé après une longue période de vaches maigres, le militant devient vulnérable et manipulable.
Franklyn Nyamsi : un bilan mitigé
Sans régler de compte avec Nyamsi, que j’ai parfois partagé sur mon TikTok ou mon Facebook, force est de constater que Franklyn s’est souvent trompé dans ses jugements : d’abord Ouattara, qu’il a contribué à faire roi des rois en Côte d’Ivoire ; ensuite Assimi Goïta, qu’il avait copieusement insulté quand celui-ci a pris le pouvoir par deux fois au Mali ; puis son candidat Kamto à la présidence du Cameroun, un ancien avocat ayant contribué à mettre Laurent Gbagbo sous les verrous. Aujourd’hui, il insulte tous ceux qui critiquent son choix d’être présent à ce congrès panafricain organisé par Faure Gnassingbé, acceptant ainsi de jouer le rôle de dindon de la farce.
Franklyn Nyamsi est un très bon analyste… une fois que la réponse lui a été donnée. Avant ça, une Nathalie Yamb, un Jean Paul Pougala, un Johnny Patcheko ou un Black Modo ont un bien meilleur flair pour détecter les inflexions de la politique africaine et les directions qu’elle prend.
Mais la constance est de mise : 8 congrès en 125 ans, cela montre la lenteur du déploiement de nos idées et de notre vision d’un nouveau monde.
Les militants camerounais : un leadership qui interroge
Au-delà de cette attitude condescendante, ce sont tous les militants camerounais souvent en première ligne qui sont pointés du doigt. Présents dans tous les pays, aux côtés de tous nos leaders panafricains – quand ils ne sont pas eux-mêmes leaders, comme le conseiller spécial de Kemi Seba qui est camerounais, tout comme son ancienne épouse. Ils sont perçus comme des militants professionnels faisant du panafricanisme un nouveau business.
Et même un Philippe Simo, quand il scande « Back To Africa » de Marcus Garvey pour son événement annuel, le fait toujours par opportunisme commercial et financier.
Le résultat de tout ça ? Attention à l’image que véhicule le Camerounais dans le combat panafricain. Il ne faut pas oublier la ligne directrice : une Afrique unie, fédérée et prospère. Une Afrique sécurisée, éduquée et éveillée.
Conclusion
J’attends avec impatience la tenue de ce 9ème congrès. Vont-ils faire exploser le mouvement, le détruire, démontrant ainsi que l’Africain n’a aucune maturité pour se développer par lui-même, qu’il ne sait pas protéger ce qu’il crée et détruit tout ce qu’il touche par simple intérêt personnel ?
À suivre…
Patrice NZIANSÈ , le Dimanche 7 Décembre 2025 à Paris