DÉCOLONISER LES ESPRITS

Le Journal du Panafricanisme Économique, Géopolitique & Géostratégique

L’Afrique peut-elle inspirer confiance dans les affaires ?

La question de la confiance entrepreneuriale à distance


Le décalage entre l’image et la réalité

Ce matin, en parcourant les réseaux sociaux, je suis tombé sur une publication vantant la beauté du Bénin. Des images somptueuses, une modernité affichée, un développement apparent. En octobre dernier, j’ai passé trois semaines à Cotonou, logé dans le quartier résidentiel près de la Présidence – un espace propre, moderne, fréquenté par les expatriés et les touristes d’affaires. Un décor impeccable qui pourrait séduire n’importe quel investisseur.

Puis j’ai visité Agblangandan et d’autres quartiers populaires. Le contraste est brutal. Routes défoncées, habitations précaires, infrastructures délabrées. Cette dichotomie m’a rappelé Brazzaville, Pointe-Noire, Yaoundé ou Douala : partout ce même fossé entre les quartiers huppés et la réalité des quartiers populaires qui ressemblent davantage à des ghettos qu’à des zones d’une capitale en développement.

Cette observation soulève une question fondamentale : peut-on faire confiance à l’image que projettent certains influenceurs du continent africain ? Nous montrent-ils une réalité complète ou simplement une vitrine destinée à attirer le tourisme ?

La confiance : socle de toute économie moderne

Le problème ne se limite pas à l’esthétique urbaine. Il se reflète directement dans nos relations d’affaires. Pour développer une activité économique à distance – que ce soit depuis Hong Kong, Singapour, Berlin ou ailleurs – la confiance est absolument indispensable. Et la confiance repose sur la transparence et la véracité des informations remontées.

Or, après des années de collaboration avec des partenaires africains, je constate un déficit critique : les informations sont régulièrement tronquées, enjolivées, édulcorées. Ce décalage entre ce qui nous est rapporté et la réalité crée une impossibilité structurelle de gérer des opérations à distance.

Ce phénomène ne concerne pas uniquement les entrepreneurs. Combien de membres de la diaspora envoient de l’argent pour construire une maison, lancer un commerce, financer des travaux… pour découvrir des années plus tard que rien n’a été fait ? Que les fonds ont été détournés ? Que les rapports d’avancement étaient fictifs ?

Sans confiance, il n’y a pas d’économie viable.

Tourisme ou développement économique : quel projet pour l’Afrique ?

Cette question de la confiance en soulève une autre, plus stratégique : quelle est la finalité que nous visons pour le continent africain ?

Si l’objectif est de faire de l’Afrique une destination touristique – un immense parc d’attractions avec ses plages, ses safaris, son exotisme et, malheureusement pour certains pays, son tourisme sexuel – alors oui, l’image d’Épinal que véhiculent certains influenceurs se justifie. Que cela soit dit franchement : vous nous montrez une vitrine pour attirer des visiteurs, pas des investisseurs sérieux.

Mais si nous avons une ambition différente – construire des industries, développer l’agriculture et l’agrobusiness, implanter des usines, créer des infrastructures technologiques – alors il faut impérativement développer cette capacité à la délégation à distance. Il faut que nos partenaires locaux puissent gérer des opérations sans qu’il soit nécessaire d’être physiquement présent à chaque étape pour vérifier, surveiller, corriger.

Le modèle asiatique : une référence en matière de fiabilité

En Asie – que ce soit en Chine, en Inde ou ailleurs dans la région – il est possible de diriger des usines à distance. Bien sûr, une présence régulière reste nécessaire, mais le système fonctionne parce que les délégués locaux ont tout intérêt à la réussite de l’entreprise. La culture entrepreneuriale asiatique intègre cette notion de transparence, d’exigence et de confiance mutuelle entre partenaires.

Le Bénin, justement, a fait des efforts considérables en matière de numérisation : passeports biométriques, visas électroniques, modernisation administrative. Le pays a développé des compétences techniques et technologiques indéniables. Mais la technique seule ne suffit pas sans l’éthique qui doit l’accompagner.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la Chine est si implacable avec la corruption. La corruption ne détruit pas seulement de l’argent : elle brise la chaîne de confiance qui constitue le ciment de toute économie moderne. Les récents événements au Bénin – dont je ne détaillerai pas ici les contours politiques – révèlent justement des pratiques qui sont à l’opposé des valeurs que nous devons défendre en termes d’entrepreneuriat.

La rigueur n’est pas le mensonge

J’entends souvent des Béninois vanter la « rigueur » de leur président. Mais la rigueur ne peut pas servir de prétexte au mensonge ou au manque de transparence. La vraie rigueur, c’est celle qui s’applique d’abord à soi-même : dans la vérité, dans la transparence, dans le respect de la parole donnée.

Tant que nous n’aurons pas intégré cela collectivement, nous resterons cantonnés à un rôle secondaire dans l’économie mondiale. Nous resterons cette destination où l’on vient en vacances, mais où l’on n’investit pas sérieusement. Où l’on ne délocalise pas ses centres de production. Où l’on ne confie pas la gestion d’opérations stratégiques.

L’urgence d’un changement culturel

L’Afrique n’arrivera pas à franchir le cap du développement économique tant qu’elle n’aura pas résolu cette question de la confiance. Ce n’est pas un problème de compétences techniques – nous en avons. Ce n’est pas un problème de ressources – nous en regorgeons. C’est un problème culturel et éthique.

Dans une économie mondialisée, où les chaînes de valeur sont dispersées géographiquement, où les décisions se prennent à distance, où les capitaux circulent en temps réel, impossible de prospérer sans ce socle de confiance.

Si nous voulons que l’Afrique devienne plus qu’un terrain de jeu pour touristes en mal d’exotisme, si nous voulons bâtir une véritable puissance économique, alors il faut travailler sur le fond : la transparence, la véracité des informations, le respect de la parole donnée, l’éthique dans les affaires.

C’est ce qui distinguera demain les pays qui réussiront de ceux qui stagneront. C’est ce qui déterminera si l’Afrique sera un acteur ou un spectateur de l’économie du XXIe siècle.


La question reste ouverte : sommes-nous prêts à faire ce travail sur nous-mêmes ? Sommes-nous prêts à privilégier la confiance sur le court terme et l’apparence ?


Patrice NZIANSÈ , le Lundi 15 Décembre 2025 à Paris

Patrice NZIANSE

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